Date de publication
29 septembre 2025
modifié le

Valérie Dubslaff nommée à l’Institut universitaire de France (IUF)

Maîtresse de conférences en histoire et civilisation du monde germanique, elle est nommée membre Junior de l’IUF, à partir du 1er octobre 2025, pour son étude de l’extrême droite et de son impact sur les sociétés européennes d’après-guerre. 

Portrait Valérie Dubslaff

D’où vous vient cet intérêt pour les études germaniques et pour les études de genre ?

C’est lié à mon histoire personnelle, car je suis moi-même franco-allemande. J’ai baigné dans les deux cultures, vécu dans les deux pays, et je n’imaginais donc pas faire autre chose que travailler dans le  franco-allemand. Je suis convaincue qu’on a besoin, en France, d’expertes et d’experts de l’Allemagne contemporaine, particulièrement à une époque où tout le monde semble se replier sur soi. Cette connaissance mutuelle est essentielle dans de nombreux domaines, dans les relations diplomatiques, culturelles, scientifiques, mais aussi économiques et commerciales. 

Pendant mon master, j’ai aussi découvert l’histoire des femmes et du genre.  J’ai ensuite fait une thèse sur l’engagement des femmes dans un parti néonazi allemand. Il reste encore beaucoup à découvrir sur cet engagement qui peut sembler contre-intuitif : des femmes qui militent contre leurs propres intérêts, dans des partis qui leurs sont défavorables, parce qu’ils sont patriarcaux et antiféministes.

Mais on observe que  certaines femmes y formulent malgré tout des revendications antisexistes. Avec des historiennes françaises, nous avons publié Femmes contre le changement (Presses universitaires de Rennes, 2024), qui analyse ces ambiguïtés. Nous y montrons aussi que le conservatisme n’est pas toujours là où on l’attend, avec des alliances parfois inattendues entre féministes et antiféministes.

En quoi consiste le projet de recherche pour lequel vous avez été nommée membre Junior de l’Institut universitaire de France (IUF) ?

Ce projet part du constat de la montée en apparence irrépressible de l’extrême droite en Europe et dans le monde. Cet essor fragilise nos démocraties. S’il est inédit par son ampleur actuelle, le phénomène lui-même n’est pas nouveau : il trouve ses racines dans la guerre froide. Je pars donc de l’Allemagne pour étudier la reconfiguration de l’extrême droite après la Seconde Guerre mondiale, ainsi que ses ramifications européennes, du milieu des  années 1940 à la fin des  années 1950. L’idée est de comprendre l’impact de cette extrême droite sur les sociétés européennes d’après-guerre.

J’ai structuré ce projet autour de trois axes :

  • Le premier adoptera une  approche socio-historique et s’intéressera à l’infrastructure extrémiste mise en place dès le milieu des années 1940 : qui sont les acteurs et actrices qui, clandestinement, s’engagent contre l’ordre instauré par les Alliés en Allemagne et en Europe ; d’où viennent-ils, quels sont leurs relais, leurs idéologies, leurs stratégies ?
  • Un volet “femmes et genre” qui dans une approche intersectionnelle met la focale sur l’engagement singulier des femmes nobles. Lors de recherches antérieures, j’ai remarqué que des aristocrates, actives dans la nébuleuse nationaliste, avaient mobilisé leurs réseaux  notamment catholiques, pour défendre la cause d’anciens nazis condamnés pour crimes de guerre.
  • Le troisième axe sera  transnational : il s’agit d’étudier les réseaux que ces extrémistes allemands ont tissés en Europe, et leurs tentatives de fédérer autour d’un projet de restauration du fascisme.

Comment vont se dérouler concrètement vos travaux ?

Je m’appuie avant tout sur des archives dispersées : aux États-Unis (à Washington), en Allemagne, en France, en Suisse, en Suède… Une partie de ces archives est difficile à retrouver, car certaines de ces organisations travaillaient dans la clandestinité. Je consulte aussi des archives antifascistes, ainsi que des archives des services secrets ou de police, qui contiennent parfois des fiches de profilage de personnalités politiques.

Je travaille également sur les périodiques et revues, car chaque organisation avait son journal qui servait de plateforme d’information et  de mobilisation de ses réseaux. Ils sont dispersés dans plusieurs bibliothèques et archives et demandent parfois un véritable travail de fourmi pour les retrouver.

Enfin, j’étudie des correspondances, notamment entre femmes nobles et représentants de l’Église ou de l’État allemand. J’espère y trouver des traces de leur rôle actif dans ces réseaux. 

À quelles productions va donner lieu ce projet ?

Je compte réaliser deux monographies, l’une sur la question des femmes nobles et l’autre sur l’infrastructure, ou le transnational. J’ai aussi l’intention d’organiser plusieurs colloques internationaux avec publication d’actes, ainsi qu’un séminaire interuniversitaire avec l’université de Cassel, en Allemagne, sur l’engagement des femmes en politique en Europe après 1945 . Enfin, un volet de diffusion grand public est prévu,  sous la forme d’un podcast ou de conférences, pour partager les résultats de la recherche au-delà du cercle académique.

    Mots clés
    v-aegirprod-1